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1107. Une entreprise aussi vaste et aussi difficile que celle de mesurer et destimer toutes les propriétés foncières dun Empire aussi étendu que la France, devait nécessairement exciter, dans le premier moment, des doutes sur sa possibilité et des craintes sur son exécution.
1108. Les doutes sont aujourdhui dissipés : ce qui a pu sexécuter pour trois mille communes, est également possible et est même devenu plus facile pour toutes les autres.
1109. Lexpérience a aussi calmé les premières craintes, du moins dans les points de la France où lon a pu voir et apprécier les résultats du cadastre. Beaucoup de communes demandent tous les jours que les travaux soient portés sur leurs territoires ; et le fonds annuel ne suffit pas pour répondre à leur empressement.
Quelques grands propriétaires ont même offert et réalisé loffre davancer une partie de la dépense.
1110. Ce que lexpérience a fait reconnaître, la réflexion le démontre : la lecture de ce Recueil doit convaincre que le Gouvernement a pris toutes les mesures, toutes les précautions possibles pour que le cadastre atteigne le degré de perfection dont les travaux humains peuvent être susceptibles.
1111. Les plans ont toute lexactitude de la science qui enseigne à les lever. Appuyés dabord sur une triangulation qui force sans cesse le géomètre à accorder tous ses détails avec ses grands points dobservation, ils sont vérifiés par lingénieur, qui en est responsable. Ils éprouvent ensuite deux vérifications bien plus sévères.
Celle de lexpert et du contrôleur, qui, parcourant champ par champ tout le territoire arpenté, doivent retrouver sur le terrain toutes les positions, toutes les contenances indiquées par le plan, ou doivent le faire rectifier, jusquà ce quil soit devenu limage la plus fidèle du terrain ;
Et celle de chacun des propriétaires, qui est admis et provoqué même à contrôler et à faire redresser toutes les erreurs.
Il est impossible quaprès tant dépreuves un plan parcellaire se trouve défectueux.
1112. Si lévaluation ne repose pas sur des bases aussi sûres que les bases mathématiques de larpentage, on voit du moins que lon a employé tous les moyens praticables pour assurer la marche de lexpert, éclairer son opinion, et le forcer en quelque sorte dêtre juste.
1113. Choisi avec le plus grand soin parmi les cultivateurs les plus instruits et les hommes les plus probes, étranger au canton où il opère, il na nul intérêt ni à exagérer ni à affaiblir les évaluations. Son seul intérêt est de bien faire, dans la crainte de voir rejeter son travail, et den perdre à la fois le prix et le mérite.
1114. Il serait au surplus bien difficile aux experts de sécarter de limpartialité : commandés par une foule de renseignements, accompagnés dans tous leurs travaux par les contrôleurs, forcés de suivre pas à pas les instructions, ils nopèrent que sur des abstractions ; ce nest point la vigne de tel propriétaire, le pré de tel autre que lexpert évalue ; cest larpent de vigne, larpent de pré de telle ou telle classe. Déjà il a tarifé toutes les terres, quil ne sait encore ni sur quels propriétaires tombera telle partie
De son tarif, ni quel sera le revenu de chaque propriétaire et le revenu total de la commune.
1115. Lexpert ne classe pas en même temps toutes les possessions dune même personne ; il détermine la classe de chaque parcelle, à mesure quil la rencontre sur le terrain ; et il serait impossible quil parvînt à distinguer, dans trois, quatre, six, dix mille parcelles, celles qui appartiendraient au propriétaire quil voudrait favoriser.
Dun autre côté, le contrôleur, qui laccompagne sans cesse, sapercevrait nécessairement de cette intention, puisque cest lui qui tient le tableau indicatif, et qui serait obligé, à chaque parcelle, de nommer le possesseur.
Enfin le tableau de tout le classement est déposé, pendant un mois, à la mairie ; et tous les habitants sont appelés et sont intéressés à en relever les erreurs, sil en existe.
1116. Les faveurs de contribuable à contribuable peuvent donc être considérées comme impossibles. Rien nannonce quil en existe ; et aucune plainte à cet égard ne sest encore élevée. Les faveurs de commune à commune ne sont pas plus à redouter.
1117. Le premier gage de légalité entre les communes, est la perfection intrinsèque de chaque expertise ; et rien nest négligé pour y parvenir.
1118. On trouve une nouvelle garantie dans la comparaison des expertises entre elles.
1119. Tandis que lexpert et le contrôleur donnent tous leurs soins à lévaluation isolée de chaque commune, linspecteur cherche, par un travail préparatoire, à connaître les forces respectives des communes dun même canton.
1120. Ensuite, pendant que le directeur examine attentivement les détails de chaque expertise isolée (669), linspecteur, lorsque le canton est terminé, examine ces mêmes expertise dans leurs rapports entre elles (759, 761).
1121. Elles sont enfin examinées sous ce même rapport, dans la réunion du directeur, de linspecteur, des contrôleurs et des experts (763).
1122. Jusqualors le travail nest encore revu que par les agents du Gouvernement ; il va lêtre par les parties intéressées elles-mêmes.
1123. Les propriétaires ont pu suivre tous les travaux de larpentage et de lexpertise pendant le cours de leur durée. Toutes les pièces sont ensuite déposées à la mairie, et pendant un mois soumises à leur examen (695).
Chacun deux trouve de plus, dans le bulletin qui lui est envoyé à domicile (696), tous les résultats qui peuvent lintéresser.
Ainsi lopération est mise dans le plus grand jour : la critique nest pas seulement écoutée, elle est provoquée ; et les propriétaires peuvent émettre, sur les évaluations, une opinion parfaitement éclairée.
1124. Le conseil municipal de la commune sassemble ensuite, et peut consigner dans sa délibération toutes les observations quil croit devoir faire sur lexpertise (769).
1125. Il nomme un délégué, à qui il est recommandé de chercher à bien connaître le vu de tous les autres propriétaires (770).
1126. Ce délégué se rend à lassemblée cantonale. Là, il a sous les yeux toutes les expertises des autres communes du canton, ainsi que le tableau général de leurs résultats ; il peut interroger les experts, les contrôleurs ; il a tous les moyens de comparer sa commune avec les autres, et de défendre ses intérêts (777, 779).
1127. Enfin, lassemblée cantonale donne, à la majorité des voix, ses conclusions ; le directeur les discute, le conseil de préfecture les examine, et le préfet prononce. Certes, il est difficile, il est impossible même de réunir une masse plus imposante de moyens pour parvenir à légalité proportionnelle entre les communes.
1128. Lorsque toutes les communes, tous les cantons, auront été cadastrés avec le même soin, il est raisonnable despérer que le cadastre de lEmpire français aura atteint toute la perfection quil était au pouvoir des hommes de lui donner.
1129. Lorsque le cadastre aura fait, dans tous les départements, des progrès égaux proportionnellement à létendue de chacun deux, réunissant les contingents de tous les cantons cadastrés, il en sera fait une masse qui sera répartie au prorata des allivrements de chaque canton, opération absolument semblable à celle que se fait entre les communes dune même justice de paix (792).
1130. Alors la loi sur le budget des finances fixera le contingent des parties non cadastrées de chaque département, à la somme à laquelle sélevait le contingent total du département, moins le contingent des cantons cadastrés ;
Et pour les parties cadastrées, elle énoncera simplement quelles auront à payer telle proportion de leur allivrement.
1131. Lannée suivante, de nouveaux cantons sont cadastrés ; on réunit leurs contingents à ceux des cantons précédemment cadastrés, et cette nouvelle masse se répartit au prorata des allivrements.
1132. Ainsi saccroît, dannée en année, le nombre des justices de paix cadastrées, et le nivellement de limpôt entre elles : ainsi, sans transitions trop brusques, sans secousses violentes, on arrive par degré au nivellement général de tous les départements ; et, le cadastre achevé, la loi ne fait plus, chaque année, quénoncer la proportion dans laquelle chaque propriétaire, dans toute létendue de lEmpire, doit acquitter la contribution.
1133. Cette proportion pourrait varier selon les besoins du Gouvernement : elle pourrait être une année du neuvième, une autre du huitième, une autre du dixième ; mais elle sera toujours commune à tous les contribuables de lEmpire sans exception ; et, en supposant que, malgré toutes les précautions prises, des cantons eussent été évalués un peu plus faiblement que dautres, ce reste dinégalité ne pourrait quêtre à-peu-près insensible sous le rapport de la somme à acquitter par chaque propriétaire.
1134. Il est des propriétaires qui, par lignorance où ils sont et de la véritable contenance et de la valeur réelle de leurs biens, les afferment à des prix trop modiques ; lallivrement cadastral de ces biens leur en fera connaître toute la consistance et tout le produit ; il leur donnera un moyen sûr daffermer plus avantageusement, et il en existe déjà des exemples.
1135. Autrefois les grands propriétaires seuls avaient le terrier de leurs biens, dont la confection entraînait une dépense considérable ; désormais tout propriétaire peut, pour un prix très modique, se procurer une copie de la portion du plan qui lintéresse (310), et une copie de la partie correspondante de la matrice de rôle (839). Il trouve, dans ces deux pièces, le terrier le plus exact de ses propriétés.
1136. Le pouvoir donné aux répartiteurs daugmenter ou de diminuer tous les ans les évaluations, était une source de vexations que le cadastre tarit pour jamais.
1137. Ainsi, plus de réclamations en surtaxe, qui occasionnaient des frais, des démarches, des voyages, faisaient perdre aux contribuables un temps précieux, et les mettaient aux prises les uns avec les autres.
1138. Par suite, plus de réimpositions : lorsque le propriétaire a payé daprès la proportion réglée par la loi, il est sûr dêtre parfaitement libéré.
1139. Il nest pas moins assuré dobtenir une remise totale ou une modération partielle de sa taxe, si, pour une année, il perd la totalité ou une partie de son revenu par la grêle ou toute autre intempérie. Le montant de cette remise ou modération est alors pris sur le fonds de non-valeur.
1140. La fixité dallivrement est encore favorable aux progrès de lagriculture, en ce quun propriétaire peut se livrer aux améliorations, et augmenter son revenu sans craindre daugmenter sa contribution.
1141. Il nest plus nécessaire à lavenir daccorder des exemptions ou modérations de contributions pour les dessèchements et les défrichements ; cet encouragement a lieu par leffet naturel du cadastre, puisque une lande allivrée à raison dun franc larpent, conservera cet allivrement, quand même le propriétaire, en la défrichant, la ferait produire cinquante francs par arpent. Cette faveur sera même dune durée plus longue que celle de quinze ou vingt ans, que la loi accordait précédemment.
1142. Le cadastre parcellaire offre encore dautres avantages : il termine, il prévient pour lavenir une foule de contestations entre les propriétaires, sur les limites de leurs propriétés ; contestations qui occasionnaient des frais dont le montant, difficile à calculer, sélevait peut-être, chaque année, à une somme deux ou trois fois plus forte que celle à laquelle montent les centimes additionnels temporairement imposés pour la confection du cadastre.
1143. Le cadastre peut et doit même nécessairement par la suite servir de titre en justice pour prouver la propriété. Il en est de même des livres de mutations, qui conservent la trace de tous les propriétaires dans les mains desquels un bien-fonds passe successivement.
1144. Les récapitulations générales des matrices (1081), dépouillées dans autant de volumes que la France contient de départements, formeront un relevé général de tous les biens-fonds, qui présentera sur une page la contenance, et sur la page en regard lévaluation du revenu net de toutes les espèces de propriétés et de toutes les natures de culture, dabord pour chaque commune, ensuite pour chaque canton, puis pour chaque arrondissement, pour chaque département, enfin pour lensemble de lEmpire ; ce sera le grand livre terrier de la France.