LE PROJET D'ARRETE SUR LE CADASTRE PAR MASSE DE CULTURES DU 11 BRUMAIRE AN XI.

 

Extrait des archives du Conseil d'Etat :

Rapport
Projet d'Arrêté
Notes 

597.

SECTION des finances.

C.en Dauchy, Rapporteur.

RAPPORT

Sur le Projet d'Arrêté tendant à prescrire des mesures pour parvenir à une meilleure Réparation de la Contribution foncière entre les Départemens.

L'égalité proportionnelle et la fixité dans la répartition des impôts directs, étaient un des bienfaits que le peuple français attendait de la révolution.

L'Assemblée constituante commença par consacrer l'égalité, en supprimant tous les priviléges qui, au préjudice de la masse générale, allégeaient le fardeau des impositions pour certaines classes ou corporations, pour certaines natures de biens, et même pour certaines parties du territoire.

Elle posa ensuite, dans sa législation, les vrais principes d'une juste répartition. Mais, moins heureuse dans leur application, elle ne put atteindre l'exactitude de proportion qu'elle eût desiré établir entre les divers départemens. L'urgence de son travail ne lui permettait d'employer que des bases conjecturales, et la fixation des contingens des départemens dut précéder la connaissance exacte de leurs revenus imposables.

Les plaintes qui, depuis, n'ont cessé de s'élever de toutes parts au sujet de la contribution foncière,accusent l'existence, dans l'assiette de cet impôt ; d'un vice radical qui résiste à l'effet des améliorations tentées jusqu'à présent. Le Gouvernement en a reconnu et indiqué la source, en chargeant une commission de lui proposer des vues pour assurer la plus grande égalité possible dans la répartition de cette contribution.

En effet, le vice du système, dont les uns cherchent la cause dans la nature de la perception, d'autres dans la quotité de l'impôt, réside principalement dans l'inégalité de sa répartition. C'est-là du moins qu'il est le plus sensible. Chaque particulier, chaque commune, chaque département est sans cesse porté à faire la double comparaison, du revenu du territoire voisin avec le sien, et du rapport des impôts que l'un et l'autre supportent. L'inégalité de ce rapport, quelque modéré que fût l'impôt, quelque facile que fûts on acquittement, n'en paraîtrait pas moins injuste. Le vœu général est pour l'égalité proportionnelle. Il est tellement dans la nature et dans le sentiment de l'équité, que ceux même qui profitent de l'inégalité, ne peuvent s'abstenir de le prononcer avec ceux qui en souffrent.

Rien ne serait plus facile que d'arriver à cette égalité proportionnelle, si l'on parvenait à connaître avec précision, d'une part la consistance entière de la matière imposable, de l'autre le montant réel du revenu qu'elle produit à ses possesseurs. La distribution, au marc le franc, de la somme totale de la contribution sur les diverses parties de ce revenu, atteindrait le but par le calcul le plus simple.

On ne peut trouver les élémens de cette connaissance dans les états de section et matrices de rôles qui existent. Personne ne se dissimule que la précipitation, l'arbitraire, souvent, il faut le dire, la mauvaise foi, ont influé sur leur rédaction. Les formes établies par les lois de frimaire et messidor an 7, pour rectifier les erreurs qu'elles contiennent, étaient trop compliquées, trop dispendieuses, en même temps qu'elles ne pouvaient avoir qu'une application partielle. Aussi leur exécution a presque toujours été éludée ; et lors même qu'elle a eu lieu, elle est demeurée sans utilité pour les particuliers, comme sans résultat pour le Gouvernement.

Les rectifications qu'ont tentées à diverses reprises les administrations locales, n'ont pas été plus heureuses, parce qu'elles manquaient d'ensemble, d'uniformité, et sur-tout de cette certitude qui ne peut s'acquérir que par des opérations contradictoires, et dont la précision soit démontrée.

La connaissance rigoureuse de la superficie et du revenu imposable semble donc n'exiger rien de moins que la confection d'un cadastre> général, dont l'authenticité et l'exactitude n'admettent pas même le soupçon de l'erreur.

Mais cette opération, invoquée depuis long-temps, et à peine encore ébauchée, demanderait un temps dont on ne peut fixer la durée, pour être terminée avec tous les détails qu'elle exige. Le mal était trop urgent, pour que la sollicitude du Gouvernement en ajournât le remède à un terme éloigné. Il a donc été nécessaire de se reporter à une mesure provisoire, qui, sans exclure les procédés ni l'espérance d'un cadastre plus étendu, pût offrir dès-à-présent une partie de ses avantages, et servir à rapprocher le plus grand nombre des évaluations, de la ligne d'égalité sur laquelle on aspire à les placer toutes.

La commission a pensé que, dans l'impossibilité de constater, directement et simultanément, la valeur relative de toutes les parties du territoire français, on pouvait faire un grand pas vers cette connaissance, en établissant de proche en proche des points fixes de comparaison, auxquels on pût, sans crainte d'erreur sensible, rapporter toutes les évaluations qu'il y aurait lieu de former ou de vérifier.

C'est dans cette vue qu'elle propose de faire faire, pendant le cours de l'an II, l'arpentage et l'évaluation de revenu de deux à huit communes seulement par chaque sous-préfecture. On fera sur les matrices et états de sections des communes dont l'arpentage n'aurait pas été ordonné, le dépouillement de leurs contenances et revenus actuellement imposés, pour le comparer. L'évaluation qu'on pourra tirer de cette comparaison sera d'autant plus approchante de la vérité, qu'on aura pu la modifier et la diversifier par rapport à chaque commune non arpentée, sur celle des communes soumises à l'arpentage, dont le sol, le genre de culture, et les autres élémens d'évaluation, seront les plus semblables.

La commission ne propose de faire l'arpentage que par sections et par nature de culture. Elle a bien senti qu'une carte parcellaire eût donné de plus la connaissance de chaque propriété, et procuré le moyen d'en faire l'évaluation particulière ; mais les longueurs qu'entraîneraient les détails d'une pareille carte, ne pourraient se concilier avec le délai qu'on a dû se prescrire, ni les frais avec l'économie qu'il convient d'apporter à l'opération.

La carte par nature de culture, offrira, sans beaucoup plus de frais ni de temps qu'une simple carte itinéraire, tout ce que celle-ci laisserait à desirer, et présentera, par la distinction des différentes espèces de propriétés, tous les renseignemens nécessaires pour éclairer le Gouvernement sur leur valeur totale.

Il suffira, au reste, de la tracer sur une échelle convenable, pour qu'elle puisse servir ensuite, si l'on veut, à la levée des détails qu'il pourra être de l'intérêt des particuliers de faire continuer.

Les évaluations ne seront pareillement faites que par sections et nature de cultures ; ce qui semble laisser à déterminer l'évaluation de chaque propriété privée. Mais, si l'on n'entre pas dans les derniers détails de la division des propriétés, il faudra toujours, pour former la valeur moyenne d'une section, rapprocher les évaluations partielles des différentes classes ; et ce rapprochement suffira pour remplir les vues du Gouvernement, qui n'a besoin de porter l'exactitude que dans l'appréciation relative des masses sur lesquelles doit se faire l'assiette de l'impôt.

Ce qui assurera le plus cette exactitude, sera le choix des personnes à qui seront confiées les diverses parties de l'opération. L'expert nommé pour l'évaluation de chaque commune arpentée, sera étranger au canton où elle est située. L'examen des évaluations faites dans chaque sous-préfecture, et l'évaluation comparative des revenus des communes qui en dépendent, seront confiés à une assemblée, dont un tiers seulement sera pris parmi les propriétaires de l'arrondissement. La discussion des opérations faites dans les sous-préfectures se fera dans une assemblée départementale, composée du préfet, de trois propriétaires nommés par le Gouvernement et du directeur des contributions. Les procès-verbaux de ces opérations graduelles seront rédigés par un secrétaire, qui, pris dans les différens grades de la direction des contributions, y portera l'instruction et l'uniformité, et recueillera des renseignemens particuliers, propres à éclairer de plus en plus la justice du Gouvernement.

Enfin, des commissaires ad hoc, dignes de la confiance dont ils seront investis, assisteront successivement aux assemblées de douze ou quinze départemens, et, par les documens qu'ils auront recueillis, pourront mettre le Gouvernement à portée de juger des rapports et analogies sur lesquels se fondera l'égalité proportionnelle entre ces grandes divisions de l'empire.

Ainsi, l'action toujours soutenue du Gouvernement dirigera la marche de cette importante opération, et redoublera d'intensité à mesure que les résultats pourront intéresser des portions plus considérables de la République.

On ne peut méconnaître la nécessité de l'intervention de ce premier pouvoir, qui, par son élévation au-dessus des intérêts personnels et des passions locales, ne peut ressentir d'autre besoin que celui de la justice et de la prospérité commune. On sait assez que le peu de succès de l'Assemblée constituante dans l'application de sa théorie, aussi sage que lumineuse, doit être attribué en grande partie au défaut de surveillance dans l'exécution de ses instructions. La défiance qui entourait alors le pouvoir exécutif, ne permit pas de la faire exercer par les agens qu'il avait nommés, et dont la même défaveur écarta le concours ou le rendit inutile.

La commission espère qu'au moyen des précautions que renferme son projet, on arrivera assez près de la vérité que cherche le Gouvernement, pour faire disparaître de la répartition entre les départemens, ces inégalités marquées qui appellent une réforme actuelle. Le succès de cette première opération pourra servir d'encouragement à la répéter, s'il est convenable, par une seconde, que l'expérience enseignerait à faire d'une manière encore plus parfaite. Celle-ci resserrerait peut-être les limites de l'erreur, à laquelle on doit s'attendre dans tout calcul approximatif, de manière à la rendre absolument insensible, et à permettre de réaliser les vœux que l'on se plaît à former pour la fixité de l'impôt.

1.re Rédaction.

PROJET D'ARRÊTÉ.

Article I.er

Les limites des communes seront invariablement et contradictoirement fixées.

 

II. Le territoire de deux communes au moins, et de huit au plus, par sous-préfecture, sera arpenté en l'an 11 par section et nature de culture ; les communes qui devront être arpentées, seront désignées par le sort, et le tirage se fera à Paris. Il sera formé, sur une échelle uniforme, une carte figurative et géométrique des communes arpentées.

III. Cet arpentage, dans chaque département, sera confié par le préfet à un géomètre-arpenteur qui s'adjoindra le nombre de collaborateurs nécessaire, sous la condition de rester seul responsable du travail, et de le terminer dans le délai qui lui sera prescrit.

IV. Les frais d'arpentage seront supportés proportionnellement par toutes les communes du département, et imposés en l'an 12. L'avance en sera faite jusqu'à concurrence des trois quarts sur les produits des centimes additionnels affectés en l'an 11 aux dépenses variables du département.

V. Il sera procédé à l'évaluation des produits imposables des communes dont le territoire aura été arpenté.

VI. Il sera nommé, par le préfet, un expert, qui ne soit ni domicilié, ni propriétaire dans le canton, pour faire cette évaluation, d'après les renseignemens que lui fourniront le maire et deux indicateurs choisis par le conseil municipal ; le procès-verbal sera rédigé par le contrôleur des contributions. Le mode d'évaluation sera déterminé par une instruction du ministre des finances, approuvée par les Consuls.

VII. Pour les communes dont l'arpentage n'aura pas été ordonné, il sera dressé, d'après les matrices ou états de sections, un dépouillement qui présentera les contenances et revenus actuellement imposés.

VIII. Ces dépouillemens seront examinés et comparés avec le résultat des opérations des communes arpentées.

IX. Il sera procédé à cet examen, et à l'évaluation comparative des revenus des communes de chaque sous-préfecture, par une assemblée composée du sous-préfet et de cinq citoyens, dont deux propriétaires de l'arrondissement, et trois pris hors de l'arrondissement. Ces cinq commissaires seront nommés par le préfet. L'inspecteur ou le contrôleur des contributions remplira les fonctions de secrétaire.

X. Les opérations des sous-préfectures seront discutées au chef-lieu du département, dans une assemblée qui sera composée du préfet, de trois propriétaires nommés par le Gouvernement, et du directeur des contributions, qui remplira les fonctions de secrétaire.

XI. Le Gouvernement nommera des commissaires ad hoc pour assister aux assemblées départementales : chacun de ces commissaires sera envoyé dans douze ou quinze départemens ; ils auront la mission spéciale de recueillir tous les documens nécessaires pour mettre le Gouvernement à portée d'apprécier la matière imposable, et d'établir l'égalité proportionnelle entre les départemens.

XII. Le ministre des finances est chargé de l'exécution du présent arrêté.

NOTES.

Des lois et arrêtés ordonnent les démarcations des communes ; il a paru nécessaire de rappeler une disposition qui n'a pas été généralement remplie, et dont l'exécution terminera les difficultés existantes, et en préviendra de nouvelles.

Le terme moyen de deux communes au moins et de huit au plus par arrondissement, donnera dix-huit cents communes dont le territoire sera arpenté.

En confiant au sort la détermination des communes qui seront arpentées, on pourrait craindre qu'elle ne tombât sur des localités trop rapprochées, et qui n'offriraient pas des points de comparaison assez variés. Pour prévenir cet inconvénient, la commission croit utile que le Gouvernement forme, en réunissant un certain nombre de communes voisines, autant de cantonnemens par département, qu'il y aurait de communes à arpenter ; et que ce soit sur chacun de ces cantonnemens que se fasse le tirage.

 

La commission pense que si le Gouvernement veut avoir en un an l'arpentage des dix-huit cents communes, ce qui est très-possible, il faut absolument en confier, dans chaque département, l'exécution à un seul géomètre-arpenteur, dont le temps soit exclusivement consacré à l'opération, et qui, responsable, aura sous ses ordres le nombre de collaborateurs nécessaire pour terminer le travail dans le délai d'un an qui lui sera prescrit.

Les frais d'un arpentage local qui doit avoir un but commun et une conséquence générale, ne paraissent pas devoir être payés par les seules communes arpentées. Cette charge semble devoir être départementale, et imposée additionnellement aux contributions de l'an 12.

Les époques des reeouvremens de l'an 12, et ls nécessité de ne pas faire attendre l'arpentleur, ont déterminé la commission à proposer d'affecter le paiement des trois quarts des frais d'arpentage, sur les fonds des centimes destinés pour l'an 11 aux dépenses variables, et qui, pour le plus grand nombre des départemens, laisseront une marge suffisante.

La commission, pour parvenir à l'évaluation des revenus imposables des communes arpentées, et pour ne pas en laisser le résultat à la discrétion très-douteuse des intérêts privés, propose de faire faire cette opération par un expert choisi par le préfet hors du canton, et qui recevra sur les lieux les renseignemens nécessaires. Ces renseignemens seront fournis par le maire et par deux indicateurs que nommera le conseil municipal.

Le directeur sera chargé de former, pour chaque commune non arpentée, un état qui présentera, d'après la matrice, la contenance de chaque nature de propriété et le prix moyen de l'hectare. Si la matrice n'offre pas ces renseignemens, les contrôleurs se transporteront dans les communes, et demanderont aux maires les élémens nécessaires pour former cet état.

Par le résultat de chaque état, on connaîtra les contenances et les revenus, tels qu'il auront été déclarés dans les communes non arpentées ; quant aux évaluations, les prix moyens pour chaque nature de culture, seront comparés aux prix moyens établis pour les communes arpentées ; et ces comparaisons pourront se diversifier et se modifier sur les résultats des opérations de deux ou huit communes.

Ces examens et ces comparaisons sont un acheminement à la connaissance que le Gouvernement n'a pas, et veut avoir, de la matière imposable des départemens ; ils seront faits d'abord dans chaque sous-préfecture.

L'assemblée qui en serait chargée, serait composée de cinq membres, dont deux propriétaires dans l'arrondissement, les trois autres (majorité désintéressée) seraient pris hors de l'arrondissement.

Le rappel à l'égalité proportionnelle est organisé et mis en action par l'intervention de commissaires étrangers à l'arrondissement qu'il est question d'évaluer.

Le concours de propriétaires au travail des évaluations, offre une convenance politique, et sera d'une utilité réelle par l'organisation de l'assemblée de sous-préfecture.

La révision des évaluations des sous-préfectures paraît indispensable, et l'on pense que des propriétaires du département doivent être appelés à cette révision. Leur choix exige la plus grande attention, et la commission propose de le laisser au Gouvernement.

Malgré les précautions prises pour combattre les affections locales et déplacer les intérêts privés, on peut craindre que les assemblées ne donnent pas la vérité telle qu'il la faut pour arriver à l'égalité proportionnelle ; et c'est d'après cette possibilité que la commission propose l'envoi dans les départemens, de commissaires ad hoc qui, sans convenances à ménager, sans ressentimens à redouter, et sans toutes les délicatesses de position, auront la mission de chercher la vérité et de la rapporter au Gouvernement.

A PARIS, DE L'IMPRIMERIE DE LA RÉPUBLIQUE.

11 Brumaire an XI.

 

 

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